Saba Enchante

Poèmes d'amour

Tu m'as dit: "je me sens revivre",
Et ces mots que mon cœur attend
Depuis qu'un soir de tes vingt ans
Tes cils ont battu pour me suivre,

Je les ai reçus comme on cueille
Une pervenche à sa fenêtre;
Moi aussi, j'ai senti renaître
La sève et reverdir les feuilles…

Bénie sois tu, glorieuse femme
Qui, fleur et source tour à tour,
Bois et régénères l'amour,

Toi qui fais brûler en mon âme
L'éternel retour des huit flammes,
Comme en ce temps, en pareil jour.

J'ai vu gésir ma Reine morte,
J'ai vu blêmir son sein glacé.
Le vent souffle devant ma porte
Et le temps n'a rien effacé.

Le monde sage en vain m'exhorte.
Pourquoi remuer ce passé?
Les femmes de vie sont cohorte;
Choisir la mort est… déplacé.

La vie? Que le diable m'emporte!
Quand il m'en resterait assez,
Mon âme n'est plus assez forte;
Le ressort vital est cassé.

La sienne est en moi : que m'importe
Des vivants le séjour lassé?
Je préfère, funèbre escorte,
A son corps rester enlacé.

Pour rejoindre ma Reine morte,
Pour étreindre son sein glacé,
Je vais clore au monde ma porte:
C'est moi qui vais être effacé.

sonnet d'hiver pour un amour perdu, 12 janvier 1989

Il fait noir et mon âme saigne.
En d'autres temps, ces deux couleurs
Formaient le drapeau de mon cœur;
Douleur, comme il est long ton règne!

Noirs ses cheveux, rouge sa bouche;
Noirs ses yeux, rouge l'oriflamme
Qui entourbillonnait mon âme
Quand je m'abîmais dans sa couche.

Ses bras blancs furent mon licou,
Ses longues mains l'écrin céleste
De mon front, jusqu'au jour funeste

Où mon univers, tout à coup,
S'effondra. Me revoici seul…
Et son absence est mon linceul.

Le charme était rompu, mais le charme renaît.
Le maléfice est mort : vive le sortilège!
L'onde rouge des cœurs a fait fondre la neige;
Le cri a libéré l'incendie qui couvait.

Je vous ai retrouvée en ce cercle de flamme.
Le soufre dissipé, qu'il brûlait clair, ce feu!
Si le corps est langage, l'étreinte, quel aveu!
La vraie force n'est pas à qui veut fuir son âme.

Le cœur a ses raisons, si le corps a ses fous.
Rare est leur harmonie : trop de bonheur effraie?
Mais fuir est sans grandeur et tuer, sans objet.
O, Maîtresse de moi, soyons maîtres de nous!

Il suffit de dire : "oui"; nous connaîtrons encor
Le mystère d'amour, ses affres, sa liesse.
Car se nier est vain, se mentir est faiblesse :
L'abandon seul est vrai et le vrai, seul, est fort!

poeme pour une enfant retrouvée

27 septembre 1992

N'aurons-nous donc vécu que comme des voleurs?
N'aurons-nous donc aimé qu'à bas bruit, en cachette?
Quarante ans ont passé et c'est à la sauvette
Que nous nous retrouvons, en taisant nos ardeurs.

Quand nous avions treize ans, nos baisers en maraude
Laissaient inassouvie notre passion naissante.
Entre nous la barrière est demeurée présente;
Nos cheveux ont blanchi mais l'ombre toujours rode.

Les parents, les espions, jusqu'aux nonnes de Londres,
Conspiraient à déjouer nos enfantines ruses.
En vain nos coeurs saignaient; les inflexibles muses
N'inspiraient des sanglots que pour mieux nous confondre.

Aimer à l'age mur! Faut-il donc qu'on en tremble?
N'avons-nous à la vie déja payé tribut?
N'avons-nous point assez mérité le salut?
Est-ce trop demander que d'etre enfin ensemble?

Quand on aime à quinze ans, passe qu'il faille feindre.
Quand on aime à cinquante, on n'a plus qu'une vie.
Messieurs les chaperons, disposez, je vous prie.
Fut-ce une seule fois, laissez-nous nous étreindre.

Mars 1989

Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse;
Tant va l'amour au feu qu'à la fin il s'éteint!
Tu m'en as trop fait voir et c'est de guerre lasse,
Et c'est le coeur brisé que je renonce au tien.

Certes tu m'as comblé de tendresse et de charmes.
Je te dois mille joies, si je te dois des pleurs;
Tu as chauffé mon coeur, tu as séché mes larmes.
Tu as été ma vie, mon espoir, mon bonheur.

Il me souvient encor de mille découvertes,
Mille émerveillements, mille soleils radieux.
Sur les plages de feu, dans la campagne verte,
Tu régnais, tu luisais, tu lancais mille feux.

Tu étais mon aimée; je te voulais ma femme;
Je croyais immortel cet amour infini.
J'avais juré ma foi, j'avais donné ma flamme;
Qu'as-tu fait de mon coeur pour qu'il saigne aujourd'hui?

Pourquoi tant de sursauts, pourquoi tant d'inconstance?
Pourquoi m'avoir donné, repris, donné encor?

Puis-je me contenter d'un semblant de présence,
De l'écho affaibli de nos premiers accords?
Est-ce la lassitude, est-ce l'indifférence,
Ou d'avoir trop aimé que nous payons tribut?
La vie vient-elle à bout meme de l'espérance?
Quels péchés expions-nous par cet amour perdu?

Nous ne le saurons pas; cela vaut mieux peut-etre;
A quoi bon retenir ce qui déja s'enfuit.
Mais je sais que le soir, passant sous ta fenetre,
J'ouvrai longtemps encor les échos de nos nuits.

Je viens te dire adieu, en un dernier "je t'aime";
Je renonce aujourd'hui à ce qui fut notre heur.
Car c'est payer trop cher le bonheur - meme extreme
Que de le voir voguer au gré de tes humeurs.

Je t'aimerai toujours, je t'aimerai encor
Tu es celle qui fut, qui reste mon Amour
Je chérirai, en moi, jusqu'au jour de ma mort
Ton image, ta voix, ton rire, nos beaux jours.

2 Avril 1991

Un flamboiement pres de l'étang
Vient de trouer la nuit profonde:
C'est Elle qui jaillit de l'onde,
Elle qui coule dans mon sang.

Un archet m'appelle au dehors:
Elle a retrouvé ses arpeges;
Ils sont en moi les sortileges
Du violon et des cheveux d'or.

Elle a planté son chevalet
Au beau milieu des champs de blé,
Elle fait revivre l'été;
Sous ses pinceaux le jour renait.

Nous sommes au bout de la nuit,
Nous avons gagné la bataille.
Tu es revenue, je tressaille:
Tu es en moi, femme, tu vis!