Saba Enchante

Poèmes de foi

Le bonheur c'est aussi le sanglot et l'arpège.
Le bonheur c'est toujours le rayon et le vent.
Le bonheur c'est l'éclat, c'est le bleu, c'est la neige.
Le bonheur c'était toi, c'était nous mon enfant.

octobre 1987

J'appartiens, gr?ce au Ciel, ? un autre lignage
Que les “Grands” d'ici-bas, si bleu que soit leur sang.
C'est du Verbe divin que je tiens l'héritage,
La noblesse absolue, depuis quatre mille ans.

Si grands que soient les rois, ils sont moins que nous sommes,
Monarques légitimes ou tyrans imposteurs,
Désignés par eux-m?mes ou choisis par les hommes;
Nous, nous f?mes élus par le Grand électeur.

J'ai vu gésir ma Reine morte,
J'ai vu blêmir son sein glacé.
Le vent souffle devant ma porte
Et le temps n'a rien effacé.

Le monde sage en vain m'exhorte.
Pourquoi remuer ce passé?
Les femmes de vie sont cohorte;
Choisir la mort est… déplacé.

La vie? Que le diable m'emporte!
Quand il m'en resterait assez,
Mon âme n'est plus assez forte;
Le ressort vital est cassé.

La sienne est en moi : que m'importe
Des vivants le séjour lassé?
Je préfère, funèbre escorte,
A son corps rester enlacé.

Pour rejoindre ma Reine morte,
Pour étreindre son sein glacé,
Je vais clore au monde ma porte:
C'est moi qui vais être effacé.

Sur les fleuves de Babylone,
Nos anc?tres ont tant pleuré
Que moi, qui n'aurais d? téter
D'autre Louve que la Sorbonne,

Il me semble d'entendre encor,
Quand le vent souffle dans les saules,
La plainte de toutes mes ge?les
Et le kaddish de tous mes morts?

Sur les fleuves de Babylone,
Nos anc?tres ont tant pleuré
Que moi, qui n'aurais d? téter
D'autre Louve que la Sorbonne,

Il me semble d'entendre encor,
Quand le vent souffle dans les saules,
La plainte de toutes mes ge?les
Et le kaddish de tous mes morts?

Chantez nous les chants de Sion
Disaient nos oppresseurs affables;
Le travail rend libre, que diable!
Mais mon P?re a répondu Non!

Ce fut la gr?ve du po?me:
Mon P?re a refusé le r?le;
Il a pendu sa harpe au saule
Avant qu'on l'y pend?t lui-m?me?

Comment pourrais-je, disait-il,
Entonner l'hymne hiératique,
Et d?voyer le saint cantique
En votre terre, en notre exil??

En cet exil, qui est le mien,
De p?re en fils, de deuil en tr?ve,
Ai-je droit de briser la gr?ve?
Puis-je feindre de ne voir rien??

Puis-je chanter sans déchirure
Tes prés verts, tes riants coteaux,
Tes cathédrales, tes ch?teaux,
Ton corps, Edom, ou ta parure?

Puis-je oublier, ingrat po?te,
Devant tes palais, nos ghettos,
Et le r?le qu'un peu plus t?t
Tu nous fis jouer dans tes f?tes?

Puis-je ne pas voir qu'aux saisons
De vos amours, belles marquises,
Nous étions marchand-de-Venise
Ou t?te-?-gifle en Avignon?

Puis-je m'attarder au Prado
Sans entendre le chant fun?bre,
Sans voir flotter, au fil de l'?bre,
Les cendres de tous nos fagots?

Puis-je, pélerin chez le Tzar,
Féru d'ic?nes ou de faucilles,
Oublier le sang et les grilles
Du Goulag ou de Babi-Yar?

Et puis-je arpenter ton Forum,
Sur les ruines de mon sanctuaire
Et fouler mes propres pri?res,
Mon Hallel, sous ton Te Deum?

Que reste-t-il de tes colonnes,
O mon Temple? Et de vos accords,
L?vites! ?tes-vous tous morts?
Tout est-il mort ? Babylone?

As-tu vraiment tout dévasté,
Fille de Babel, la maudite??
Mais quelle flamme, alors, m'habite?
Qu'est-ce donc qui me fait vibrer?

Quelle est cette clameur soudaine?
Ces cris de joie couvrant les plaintes,
Ce parfum de mille jacinthes,
Ce jaillissement dans la plaine??

Sion, les revoici, tes fils!
Ta tribu rena?t de ses cendres;
Ils sont revenus te défendre,
Ils labourent et reb?tissent?

 

Trop tard, ?dom, je suis au port!
Je suis au terme du voyage.
Tu m'avais enterré? Dommage!
Je n'étais pas tout ? fait mort.

Oui, je sais, tu te dis souvent
Qu'ont-ils ? remuer leurs décombres!
Nos six millions de morts t'encombrent;
Alors, trois millions de vivants!?

Tu as vraiment tout essayé,
M?me la vilenie ultime
De méler bourreau et victime:
Mais qui crois-tu donc abuser?

Tu as perdu, Babel, j'existe!
Et si j'ai levé l'anath?me
Du rocher, c'est qu'au fond - je t'aime!
(Tu m'avais appelé “raciste”?)

?dom, j'ai fait mienne ta vie
Et ta langue pour mon po?me;
Mais si j'oublie Jérusalem,
Que ma main droite me renie!